11 avril 2006

Une question peut en cacher une autre

Des nouvelles de mes chères études : j'ai essayé ces jours-ci de progresser sur un point précis : à quel moment commence-t-on à refondre de la fonte de fer, par exemple pour la « jeter en moule », comme le dit Gabriel Jars en 1765 : en faire des objets en fonte, du chaudron au canon de 36 en passant par la poutrelle ou le corps de pompe. Depuis le XIVème siècle, on produit le fer dans les hauts fourneaux, ce qui veut dire qu'on produit ce que l'on appelle aujourd'hui de la fonte, que l'on affine par la suite pour obtenir du fer. Si ce que l'on veut, ce sont des objets en fonte, on place le moule au pied du haut fourneau et on y amène la fonte lors de la coulée. C'est jusqu'au XVIIIème siècle la seule manière de faire, puisque l'on ne connait pas de moyen de faire fondre cette fonte - raison pour laquelle on ne l'appelle pas fonte mais fer coulé lorsqu'il s'agit d'objets moulé ou fer en gueuse pour le produit intermédiaire destiné aux affineries, en anglais cast iron et pig iron. Le terme de fonte est bien employé, mais c'est de fonte verte, c'est à dire de bronze, qu'il s'agit : on sait depuis la proto-histoire le faire fondre, 800° ce n'est pas l'enfer, somme toute. Parler de fonte pour un métal que l'on a fait fondre, ça n'est pas aberrant.

Un changement important se produit en Angleterre entre la fin XVIIème et le début XVIIIème siècle : on parvient à faire refondre du fer, en utilisant un type de four particulier que l'on utilisait alors pour le cuivre et le plomb : le four à réverbère (cf. ci-contre). Le fer que l'on refond de la sorte n'est pas du fer forgé, du fer pur, mais bien ce que l'on appelle aujourd'hui de la fonte : un alliage de carbone et de fer comprenant un pourcentage élevé de carbone (plus de 2% si ma mémoire est bonne), ce qui abaisse son point de fusion à 1200°. C'est donc soit des gueuses produites par le haut fourneau, soit des résidus de coulée d'objets en fonte, soit de vieux canons ou autres objets en fonte qu'on souhaite recycler. Ces techniques sont importées en France dans les années 1770 ; on commence alors à rencontrer le terme de fonderie de fer et donc de fonte de fer - puisqu'on sait la produire à l'état liquide autrement que dans une phase transitoire, à la sortie du haut-fourneau.

Ce qui est curieux, c'est que ce changement majeur est très peu étudié. La raison à celà : Cette nouveauté est étroitement liée à une autre, celle de l'utilisation du coke dans les hauts fourneaux. Le combustible est de même provenance (la mine de charbon), même si le four à réverbère ne nécéssite pas sa cokéfaction ; de plus, les lieux et les hommes concernés se confondent, en particulier à Coalbrookdale, à la frontière anglo-galloise (illustration en tête d'article  on y voit nettement les fours à réverbère). Et comme la question du coke, qui porte en elle toute l'industrie lourde des XIXème et XXème siècles, a préoccupé et préoccupe toujours au premier plan les historiens des techniques, celle de la fonte (comme produit susceptible d'être refondu à volonté) s'est trouvée en grande partie occultée.

C'est ce que je disais : une question peut en cacher une autre.

Illustrations : Détail de A View of the Upper Work at Coalbrookdale in the County of Salop [Shropshire], 1758, publié dans T.S. Ashton, Iron and Steel in the Industrial revolution, Manchester University Press, 1924 ; Furnace for Melting Iron Scrap at Southwark (Londres), par R.R. Angerstein, 1753, publié dans R.R. Angerstein's illustrated Travel Diary, 1753-1755, trad. et édit. de T. et P. Berg, Londres, Science Museum, 2001.

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