25 février 2006

De la rigueur scientifique

Extrait de l'Histoire de l'Académie royale des sciences pour l'année 1767, dans laquelle je cherchais tout autre chose :

Ce n'est qu'avec l'attention la plus grande, & après l'examen le plus scrupuleux, qu'on est en droit, dans les recherches physiques, de compter sur ce qu'on croit avoir vu.

Hist. Acad. Roy. Sci. 1767 (1770), p.43.

De quoi s'agit-il ? De la présentation du mémoire de M. Ferein intitulé « sur le véritable sexe de ceux qu'on appelle hermaphodites » bien sûr !

(Ce qui ne m'aide pas à trouver le mémoire de Duhamel sur l'acier de Ruffec, en Angoumois, dont j'ai récupéré une copie manuscrite aux Archives hier. Mais bon, celui-là valait d'être cité, je trouve.)

14 février 2006

Ingénieur Schmingénieur

Comme bien l'on sait, j'ai suivant les jours sur la tête une casquette d'administrateur de réseaux informatiques ou une casquette d'étudiant en histoire. Même si je me suis spécialisé en histoire des techniques, ce n'est pas si souvent que les deux peuvent coïncider. Et pourtant...

Et pourtant, dans les séminaires, colloques et publications d'histoire des techniques, en particulier en France, on parle sans arrêt d'ingénieurs ; d'un autre côté, je dépouille des réponses à appel d'offre où l'on me chiffre le coût de la journée d'ingénieur - moins cher qu'un chef de projet ou un consultant, mais plus qu'un technicien. Au demeurant, sur ma feuille de paye, il y a marqué « ingénieur d'études, » c'est dire s'il y a de l'ingénieur là-dedans.

Quel rapport entre tous ces ingénieurs, et avec les Vauban et Bélidor dont je parlais ici ou  ?

J'avoue ne pas avoir de réponse à cette question. Et j'ajoute à cet aveu que malgré sa qualité, le bouquin d'Hélène Vérin qui fait autorité sur la question (La gloire des ingénieurs. L'intelligence technique du XVIe au XVIIIe siècle, Albin Michel, 1993) n'arrive pas tout à fait à me convaincre que, parce que nous avons ce mot, il y a un objet historique cohérent derrière.

Au début, me semble-t-il, il y a l'ingénieur militaire - l'homme du génie au sens où on l'entend dans les états-majors, en charge des travaux de siège et, a contrario, de fortification. Il gagne en importance au long des temps modernes, lorsque la guerre cesse d'être une affaire de charges héroïques en rase campagne pour se ramener à une affaire de places et de sièges, pour culminer avec la grande et coûteuse affaire du règne de Louis XIV, la construction d'une ligne de citadelles aux frontières du Royaume. L'ingénieur est donc essentiellement un spécialiste de statique, laissant à d'autres ceux des problèmes de Galilée qui concerne cinématique et dynamique. Évidemment, il est obligé de s'intéresser aux questions d'hydraulique, par exemple : pas la peine de construire une place forte si on y meurt de soif. C'est évident dans les livres de Bélidor et sur le terrain à Neuf-Brissach et ailleurs (ci-contre, adduction d'eau à Briançon).

Mais on est loin de l'ingénieur tout puissant du XIXe siècle. Comment va-t-on de l'un à l'autre ? Comment l'ingénieur devient-il, à un point aussi flagrant, et surtout en France, la figure de proue du progrès technique ?

Une hypothèse de travail, sûrement simplificatrice : en France, le corps royal des ingénieurs (le génie militaire donc) est, je crois, le premier corps technique de l'État à recevoir une stricte organisation territoriale, en 1693, avec une organisation en 23 directions subdivisées en chefferies, ces dernières étant sous la responsabilité d'un ingénieur en chef (cf. Langins,Engineering the French Revolution, p.81). Du coup, lorsqu'à l'époque de la Régence et de louis XV on se préoccupe d'organiser le corps des Ponts-et-Chaussées, c'est le même modèle et la même appellation qui prévalent ; et qui son transférées, dans les dernières années de l'Ancien Régime, au nouveau corps des mines.

On sait que les ingénieurs des Mines (mais aussi ceux des Ponts-et-Chaussées, en ce qui concerne en particulier les chemins de fers) se sont donnés pour mission d'organiser et d'encourager l'importation de la révolution industrielle anglaise en France - qu'on me pardonne le raccourci un peu forcé. Et, au cours du XIXe siècle, on commence à voir des maîtres de forges, reconnus comme tels dans leur province, se faire appeler « ingénieurs civils » à Paris - c'est le cas des Combescot, de la forge de Savignac-Lédrier, étudiés par Yvon Lamy. La nouvelle gloire de l'ingénieur commençait, qui culmine par la loi du 10 juillet 1934 sur la délivrance et l'usage du titre d'ingénieur diplômé.

Ce modèle est-il obsolète aujourd'hui ? Je le crois ; j'en veux pour preuve la grille salariale dont je parlais au début - d'ailleurs, si j'expliquais à mes amis américains que je suis engineer (à défaut d'ingénieur diplômé que je ne suis pas), il y a des chances qu'ils me croient mécanicien d'une locomotive. Mais comme Don Quichotte croyait en la chevalerie bien après qu'elle ait perdu toute pertinence, certains continuerons longtemps à voir dans l'ingénieur (et dans les écoles du même nom) l'armature essentielle de l'industrie, de l'économie et, tant qu'à faire, de la société elle-même...

(Illustrations : détail du frontispice de La science des ingénieurs, de Bélidor, édition de 1729, d'après Gallica, et photo de votre serviteur, Briançon, juillet 2005)