31 mai 2006

Fonderie

Quand on est historien des techniques, on l'est tout le temps - même dans les cimetières. Je m'explique.

J'étais récemment pour quelques jours au Mans, comme vous le savez sans doute si vous lisez mon weblog quotidien. J'en ai profité pour faire une visite qui ne m'est pas habituelle : celle de la tombe de ma grand-mère, au cimetière Sainte-Croix, sur les hauteurs est de la ville. Je n'y étais pas revenu depuis l'enterrement, en 1984, et n'avait donc qu'une idée plutôt vague de la topographie des lieux - on n'est pas trop branché par le culte des morts, dans la famille.

Toujours est-il que j'arpentais les allées pour trouver le bon emplacement (c'est un tout petit cimetière, heureusement), quand je suis tombé sur deux voisins célèbres, le père et le fils :

Tombe d'Amédée Bollée père
Amédée Bollée (père), « fondeur de cloches, mécanicien », 1844-1917

Tombe d'Amédée Bollée père
Amédée Bollée (fils), « inventeur et industriel, l'un des pionniers de l'automobile », 1867-1927

Les Bollée sont connus comme ayant, les premiers, eu l'idée d'utiliser l'énergie thermique pour le transport des passagers par la route. Cette idée a connu par la suite, on le sait, un certain succès - alors même que l'attention de l'État et de ce qu'il est convenu d'appeler le grand capital était entièrement tournée vers les chemins de fer. À la route, on ne demandait que de pouvoir amener hommes et marchandises à la gare la plus proche, que le développement du réseau secondaire devait considérablement rapprocher - au point que la marche et les charettes à cheval devaient être plus que suffisantes pour ces déplacements. C'est la raison pour laquelle on (François Sigaut, je crois) parle d'irruption de l'automobile, à l'insu ou presque des autorités constituées.

Cette irruption est, je crois, le résultat de la maturation d'un milieu professionnel, celui de la petite et moyenne mécanique. Ce sont de petits ateliers, de petits capitaux ; ni polytechniciens, ni centraliens, mais des dynasties d'artisans dans les faubourgs des grandes métropoles et dans les villes moyennes (Le Mans, Belfort...). De leurs ateliers sortirons vélos, autos, et même, de celui de deux fabricants de bicyclettes de Caroline du Nord, l'avion. Ca n'est tout de même pas rien !

Ce qui m'a frappé en voyant ces pierres tombales, c'est le lien entre la fonderie et cette nouvelle mécanique. Pas étonnant, quand on y pense - la fabrication d'un moteur à explosion requiert de nombreuses pièces coulées, du corps de cylindres au volant moteur en passant par les bielles. Mais a-t-on bien réalisé comme cet art était central aux progrès de la mécanique ?

Après tout, considérons l'Angleterre du XVIIIe siècle : dans le grand bouleversement d'alors, celui de la machine à vapeur, c'est la capacité à couler et à forer de gros corps de cylindres en fonte qui a permis à Newcomen, puis Watt et Boulton, de transformer des idées en succès industriels...

La fonderie, point central des deux révolutions industrielles ? Pourquoi pas !

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