11 mars 2006

Nantes, farine et chaudières au charbon

Comme je le disais tout à l'heure, j'ai un peu fait chou blanc aux archives nationales, du moins sur ce que je cherchais. Car c'est un peu le problème : on trouve toujours quelque chose aux archives, sauf à y mettre la plus extrême mauvaise volonté. Le truc est de réussir à s'empêcher de s'intéresser à ces trouvailles plus de quelques instants - sinon, on ne s'en sort plus.

D'un autre côté, on n'est pas historien si on n'est pas curieux, et si on tombe par hasard sur les plans d'un établissement étrange dont on n'avait jamais entendu parler, ce serait dommage de ne pas y regarder de plus près.

Or donc, après ces préliminaires laborieux, je reviens à mon titre : Que peut-on bien faire à Nantes en 1785 avec de la farine et des poêles à charbon ? Un peu tôt pour que ce soit des Chocos BN, un peu tôt même pour le petit Lu (dont la spécialiste nous donnera sans aucun doute la date d'invention). Ajoutons à l'énigme le fait que cet établissement doit être réalisé pour l'usage de la marine royale. Mystère et boule de gomme.

Si je n'avais eu que les plans, je n'aurais pas été plus avancé que ça. Mais il y a une lettre d'accompagnement, intitulée « étuves à farine » et signée d'un certain Millet, à Nantes, le 22 avril 1785 ; il y a une légende, intitulée comme suit :

PLAN d'une étuve à trois étages ayant à chaque étage deux rangs de plateaux sur lesquels seront répandues les farines ou grains qu'on voudra faire sécher.

J'aime bien les titres du XVIIIème siècle ; ça a une autre gueule que American Vertigo ou je ne sais quelle fadaise. Ceci dit, les documents nous disent ce dont il s'agit, mais pas vraiment à quoi ça sert. Ils nous apprennent que les chaudières (situées en au rez-de-chaussée) permettent de fournir une température de 60 à 70° (Réaumur, je suppose - soit 75 à 88°C) dans les tuyaux ; qu'ainsi on étuve la farine en 24h ; que de plus ces poêles peuvent fonctionner « avec du charbon de terre ce qui seroit d'une assez grande economie. » On nous explique de plus que :

le côté A & le côté B montrent des couloirs qu'on fermera et ouvrera a volonté par lesquels la farine étuvée viendra se rendre sur le plancher du premier étage designé par des marques de soliveaux, & quand elle sera refroidie on la fera descendre par des trapes dans les magasins du rez de chaussée pour être embarillée.

Ha ha ! Nous y voilà. Précisons tout de suite que le terme d'étuve ne désigne pas dans ce contexte une chaleur humide mais une chaleur modérée maintenue pendant un temps important. Et là on comprend : la farine, ça se conserve plutôt mal - c'est la raison pour laquelle on conservait traditionnellement le blé en grain, en le faisant moudre au fur et à mesure qu'on en avait besoin. Mais sur un bateau, il n'y a pas de moulin : donc, il faut emporter la farine. Donc la conditionner dans des barrils hermétiques. Donc qu'elle soit parfaitement sèche au moment où on la met en boîte, faute de quoi le remède sera pire que le mal.

C'est là que ça devient de l'histoire et pas seulement un document rigolo. La civilisation occidentale avait développé tant bien que mal un certain nombre de pratiques permettant de faire durer les aliment pour manger toute l'année - mais ces pratiques ne répondent pas aux besoins spécifiques du voyage maritime au long cours. Et du coup, les techniques modernes de conservation apparaissent (à part bien sûr celle qui sont liées à la chaîne du froid) : boîtes en fer blanc, c'est à dire recouvert d'une pellicule d'étain, par exemple, et même tablettes de bouillon : un document de 1783 s'inquiète de ce qu'il y en a 4000 à Rochefort qui menacent de périmer.

Une remarque : Nantes est manifestement un pôle important pour ces activités : en plus de cet établissement (dont j'ignore s'il a été réalisé), on y trouve très tôt d'importantes ferblanteries. Question oiseuse : est-ce là l'origine de la vocation biscuitière de Nantes que nous évoquions tout à l'heure ?

À la journée d'étude « systèmes techniques » du 4 mars dernier, François Sigaut regrettait que l'on ne fasse pas l'histoire du tire-bouchon. Voilà déjà un commencement d'histoire de la farine en boîte.

6 commentaires:

daieuxetdailleurs a dit…

1886 le Petit Beurre.

Quant à la farine... les régions environnantes produisent pas mal de blé (c'est utile pour le petit beurre, tu verras)

Peut être aussi y a t - il un peu de commerce maritime ?!
Ca doit pouvoir se troquer contre du sucre, ou s'exporter...

Anonyme a dit…

ben oui, je pense aussi que ça a rapport avec le côté commerce maritime de Nantes, si cette technique a été développée pour le transport maritime, non? Si en plus la région est bonne productrice de blé, c'est banco.

Le Plume a dit…

vui, il y a des chances, en effet. ;)
Et de fait, les ports militaires du Ponant sont nettement moins bien pourvus que Nantes en matière d'arrière-pays et de voies de communications.

Clioblogueuse a dit…

Pour la fin de l'histiire du petit beurre, voir L'espace Utile. Ah non, je me trompe : le Lieu Unique !!! (je ne m'y fais pas). Le Plume à quand une photo rigolote du Lieu Unique ??

Le Plume a dit…

Pour les petits LU, je te renvoies au 25, rue de la Grange au Loup, bien plus qualifié que moi en la matière.

Ceci dit, si d'aventure j'ai l'occasion de passer à nantes (ce qui ne m'arrive pas bien souvent il faut le dire, mon chemin passant plus souvent par l'autre capitale de la Bretagne), il est clair qu'une pose photo s'imposera.

daieuxetdailleurs a dit…

il y aura peut être une photo du Lieu Unique next week... perhaps...