Fini à l'instant : Bernard Guenée, La folie de Charles VI, Roi Bien-Aimé, Paris, Perrin, 2004, 320pp.
Résumons : Charles naît le 3 décembre 1368, fils aîné du roi de France Charles V. Il devient roi à la mort de son père en 1380 sous le nom de Charles VI, ses oncles gouvernant en son nom. A 20 ans, il renvoit la régence et exerce directement le pouvoir avec l'aide des anciens conseillers de son père. Il apparaît comme une figure de roi guerrier, aimant marcher à la tête de ses troupes avec l'oriflamme de Saint-Denis. C'est une telle expédition qui se lance à l'été 1392 vers l'ouest de la France.
Et puis, le 5 août, près du Mans, le roi est pris d'une crise de folie furieuse et se rue sur l'épée à la main sur son entourage, menaçant notamment de tuer son frère Louis d'Orléans. On le maîtrise, on le ramène au Mans, où il reste dans une complète hébétude. On le croit mourant ; mais il vit, et il vit longtemps : il meurt en 1422, à 54 ans, après 42 ans de règne dont 30 ans de quasi incapacité, de crises de folie suivies de rémissions temporaires et de moins en moins complètes.
C'est là ce que Guenée appelle joliment le deuxième événement de la folie de Charles VI, qui est un non-événement : à une époque où dans toute l'Europe des rois sont déposés ou renversés, personne n'évoque ouvertement la possibilité d'une abdication, volontaire ou forcée -- si ce n'est pour accuser ses adversaires de comploter à cette fin. C'est un fait qui surprend quiconque survole l'histoire de la période (comme par exemple le non médiéviste que je suis), ce qui suffirait à justifier l'utilité d'un tel ouvrage.
Et c'est effectivement très, très, très intéressant. Le livre s'ouvre sur un rappel critique des sources et des faits qui nous sont connus concernant la maladie mentale dont est frappé le roi. Ici, Guenée fait œuvre utile en écartant tout espoir d'un diagnostic a posteriori : les sources, par respect de la personne royale, ne se permettent aucune description clinique, n'utilisent même jamais le terme de folie. Les trois chapitres centraux concernant les différentes approches utilisées pour chercher la guérison du roi, médecine, magie et prières, sont un peu longs pour le lecteur pressé, mais intéresseront tout ceux qui se préoccupent de l'histoire des idées et des mentalités. J'ai été plus sensible aux chapitres concernant l'interaction de la maladie et de la fonction royale.
Et puis d'un point de vue événementiel, voilà qui permet au non médiéviste que je suis de s'y retrouver enfin dans les enchaînements de ces décennies catastrophique, où le pays, presque sorti de la guerre anglaise, replonge : guerre civile "des armagnacs et de bourguignons", puis la deuxième guerre de cent ans, qui semble devoir déboucher à la mort de Charles VI sur une inéluctable victoire anglaise. La maladie du roi est un fil des plus pertinents pour démêler ce qui m'avait toujours paru obscur : dès lors que la maladie du roi est reconnue comme chronique par les contemporains (vers 1405 semble-t-il : les chroniqueurs cessent alors de parler de guérison lorsque cessent les crises, pour dire seulement que "le roi va mieux" ou qu'il va "assez bien"), les enjeux des luttes de clan entre princes du sang prennent une dimension nouvelle, ouvrant la voie aux assassinats puis aux conflits armés.
Bon, les esprits chagrins trouveront dans l'ouvrage quelques redites ou s'agaceront du retour trop fréquent de quelques formules : certains chapitres sont semble-t-il des réécritures d'articles antérieurs, ce qui peut expliquer le phénomène. Mais en tout état de cause, le résultat est passionnant.
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