20 octobre 2006

Usine / chantier

Deux instances de ce que nos statisticiens appellent le secteur secondaire : l'usine et le chantier. Une usine, c'est un lieu de travail créé à un endroit donné pour un temps non défini mais de préférence relativement long. Un chantier n'est que temporaire - après, il se termine, il cesse d'être chantier ; un autre chantier s'ouvrira sans doute aileurs. Dans une usine, les différentes parties du processus de production sont réparties dans l'espace, l'atelier de fonderie, de peinture, d'ajustage... Sur un chantier, les « corps d'état » se succèdent au même endroit, de préférence dans le bon ordre - terrassier, maçon, charpentier, couvreur, plâtrier, etc. D'une usine on sort les objets produits, alors que c'est le chantier qui doit partir pour livrer son objet...

Bref, à divers titre, chantier et usine sont, non pas en opposition, mais en dualité - deux modalités divergentes du travail humain organisé. Ma présentation de cet après-midi en séminaire de Master, c'était sur ce qui se passe quand c'est les deux à la fois : une usine en chantier.


Les évolutions de la fonderie de Ruelle, 1786-1826, d'après un article de la Revue maritime et coloniale, mars 1870

Je ne vais pas vous refaire tous le speech - un peu trop long, comme d'habitude, et largement improvisé de toute façon - mais voilà l'idée générale. De 1786 à 1806, puis de nouveau dans les années 1820 (mais ça sort de mon sujet), la fonderie de canons de la Marine située à Ruelle (Charente) subit une série de remaniements importants, avec construction de nouveaux bâtiments, destruction de certains autres, réaménagement complet du cours de la rivière, etc. - la forge à canon construite en 1753 dans une ancienne papeterie se transforme en un établissement d'un type nouveau : une grande fonderie.

Mais Pendant les travaux, la vente continue : les travaux avaient commencé en 1788 mais sont ensuite mis en veilleuse jusqu'à la déclaration de guerre de 1792 ; après ça, les travaux reprennent d'arrache-pied justement parce qu'on a besoin de canons pour la guerre ; il n'est donc pas question d'interrompre la production. Cohabitent donc dans un même espace usine et chantier - avec chacun leurs ouvriers, leurs matériaux, leur direction. Tout ce beau monde se marchant sur les pieds à l'occasion : « l'entrepreneur de la fonte des canons a pris pour le moulage des pièces le sable destiné au mortier pour la maçonnerie du nouveau four », dit l'entrepreneur des travaux.

Résultat des courses : un cas d'espèce intéressant sur la dualité usine/chantier ; et l'origine de trois tonnes de sources détaillées sur l'histoire de la fonderie. Le pied, quand c'est le sujet qu'on se propose de traiter pour son mémoire de M2.

P.S. : le bouquin de Nathalie Montel sur le canal de Suez (j'en parlerai un de ces jours) est particulièrement inspirant sur la notion de chantier comme mode spécifique d'organisation du travail - et donc objet d'histoire des techniques. L'intro en particulier est bien fichue comme tout et m'a aidée à conceptualiser un peu tout ça.

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