Tombé par hasard en bibliothèque sur deux livres intéressantes :
- Janis Langins, Conserving the Enlightment, French Military Engineering from Vauban to the Revolution, MIT Press, 2004, 532pp.
- Le titre est une réponse à Ken Alder, Engineering the French Revolution, qui prétendait trouver une qualité intrinsèquement révolutionnaire à l'émergence de la figure de l'ingénieur dans le France du XVIIIème siècle. Janis Langins part d'un sujet qu'il connait bien : la controverse entre le corps du génie et le marquis de Montalembert sur les idées de ce dernier en matière de fortification. Il organise autour de cet épisode une histoire de la pensée de l'ingénierie militaire et du corps du génie ; il montre l'émergence dans ce contexte du concept de science pour l'ingénieur. Celle-ci reste cependant une science pratique dont l'objectif essentiel, la solidité et la sécurité des structures construites, incite à la continuation des méthodes éprouvées.
- J'avoue n'être pas sûr que le bouquin d'Alder, certes intéressant (et parfois horripilant, il faut le dire), mérite de polariser le débat à ce point - en tout état de cause, nous voilà avec une histoire récente et bien tenue du génie au XVIIIème siècle, tant au niveau de l'organisation des ingénieurs militaires que de la réflexion scientifique et de la mentalité d'un corps technique. De plus, les travaux de Langins sur la controverse de la fortification perpendiculaire, entrepris depuis des années, méritaient amplement d'être publiés en livre. Bon, une ou deux boulettes sur les activités métallurgiques de Montalembert, mais finalement moins que dans la déplorable bio dudit publiée l'an dernier par un érudit local.
- Chris Evans et Göran Rydén (éds.), The Industrial Revolution in Iron, The Impact of British Coal Technology in Nineteenth-Century Europe, Ashgate, 2005, 200pp
- Les recueils d'articles de ce type sont parfois passables, d'autre fois médiocres (le syndrôme du publish or perish) mais il arrive aussi qu'ils fassent plus avancer la réflexion qu'une brique d'un auteur unique. C'est le cas de celui-ci, édité par deux éminents représentants d'une nouvelle génération d'historiens des techniques - j'avais entendu Chris Evans lors de la conférence sur l'acier au CNAM, c'était brillant. Il ira loin, ce petit gars. Enfin, plutôt grand, en fait.
- Qu'est-ce qu'ils disent, collectivement ? Que si, comme l'on sait, les changements techniques apparus en Grande-Bretagne pour la production du fer ont eu une influence fondamentale sur l'industrie européenne, cette influence a une histoire - elle n'est pas immédiate, elle n'est pas complète, elle ne va pas de soi. Il n'y a pas une "révolution technique" qui du jour au lendemain renvoie les ancien procédés au rang de survivances, mais plutôt des apports variables suivant les régions considérées en fonction des cultures techniques locales. Ça semble évident, mais ça n'a pas été étudié tant que ça. Ce qui a intéressé la première génération d'historiens des techniques français, ceux des années 50-60, c'est l'apparition du système technique qui triomphait alors avec la création de la CECA et les pics de production des trente glorieuses. Ce livre montre combien l'histoire est plus subtile, et combien il reste d'espaces à explorer si l'on veut bien se détourner de l'"idole des origines" (pour user d'une de ces formules de Marc Bloch qu'on ne médite jamais assez).
- Bref : avec ces pistes de recherche, nous voilà avec du boulot pour vingt ans. Eh bien, allons-y !
- Qu'est-ce qu'ils disent, collectivement ? Que si, comme l'on sait, les changements techniques apparus en Grande-Bretagne pour la production du fer ont eu une influence fondamentale sur l'industrie européenne, cette influence a une histoire - elle n'est pas immédiate, elle n'est pas complète, elle ne va pas de soi. Il n'y a pas une "révolution technique" qui du jour au lendemain renvoie les ancien procédés au rang de survivances, mais plutôt des apports variables suivant les régions considérées en fonction des cultures techniques locales. Ça semble évident, mais ça n'a pas été étudié tant que ça. Ce qui a intéressé la première génération d'historiens des techniques français, ceux des années 50-60, c'est l'apparition du système technique qui triomphait alors avec la création de la CECA et les pics de production des trente glorieuses. Ce livre montre combien l'histoire est plus subtile, et combien il reste d'espaces à explorer si l'on veut bien se détourner de l'"idole des origines" (pour user d'une de ces formules de Marc Bloch qu'on ne médite jamais assez).
Bon, pas tout ça, mais les recherches du Plume, entreprises elles aussi depuis des années, elles méritent d'être rédigées, elles aussi !
3 commentaires:
Naissance de la Science de l'ingénieur : Hélène Vérin, mon bon, Hélène Vérin... !
Quand à Engineering the Revolution, dont on envie le titre accrocheur, le débat a été vif autour de la thèse de Ken Adler, en effet, qui s'est déroulé pour une bonne part dans Technology and Culture...
Une revue, de vrais débats scientifiques : voilà ce qui manque en France en Histoire des Techniques... Que nous faudrait-il : des sous ? des gens ? des étudiants ?
Ave et valete !!
Voui, tu penses bien que je pensais à Hélène Vérin en écrivant cette note, mais ça aurait sans doute été un peu lourd d'y insérer trop de biblio.
A noter le saut qualitatif entre l'ingénieur selon Bélidor, dont le domaine de prédilection est la statique, appliquée à la construction, et l'ingénieur tel qu'on le conçoit en France aujourd'hui - l'Ingeniere italien est resté proche l'ingénieur de Bélidor. Comme d'habitude, les mots sont des guides périlleux, cf. Marc Bloch sur ce point.
Sur le bouquin de Ken Alder - il mériterait une entrée à lui tout seul. Le débat, et notamment les remarques de Gillispie dans History of Technology ,laisse dans l'ombre quelques points importants.
Le manque d'une revue française d'histoire des techniques: venant de toi, cette remarque me laisse penser que le problème pourrait bien être résolu un de ces jours. Une idée, pas bien neuve: la combinaison revue/association, qui est celle d'HoT+SHoT (mais aussi celle de la revue/association française d'études américaines par exemple) facilite pas mal de choses. Je suis sûr qu'on en reparlera. En attendant, on peut toujours faire des blogs!
Certes je ne vois pas de revue spécialement dédiée à l'histoire des techniques, mais il existe la revue du musée du CNAM, les Annales des Mines, et bien d'autres revues... alors ce qui manque est peut-être une bibliographie annuelle sur le sujet
Enregistrer un commentaire